dimanche 19 avril 2015

Neige de printemps

Nous devions emprunter la route militaire pour nous rendre dans la vraie montagne, le Caucase, au delà de 2000 mètres d'altitude dans le nord de la Géorgie, au sud de la république russe du Daguestan. Nous devions car c'était le programme avant que la radio n'annonce la neige et la fermeture du col. Flûte à bec ! Le pays regorge de sites historiques donc il ne nous faut pas beaucoup de temps pour nous réorganiser. Direction l'ouest, vers la Géorgie occidentale au climat subtropical mais là, même musique ou presque, le col élémentaire à passer, de 2ème catégorie, celui de Sourami, passage unique entre la Géorgie orientale et occidentale est lui aussi sous la neige. La nuit approche et ça tombe. Idiote sniègue (идёт снег). C'est con ! Toutefois le trafic routier n'est pas bloqué. Et nous arrivons sans encombre mais ahuris au pays des agrumes avec des flocons sur le guidon.
Nous ne pouvons pas aller faire notre randonnée en montagne, dans ces paysages vertigineux sur lesquels ont été déposés comme par magie pourrait-on croire quelques églises. Nous nous rabattons sur le monastère de Gelati du XIIème siècle, nouvel Athènes ou second Jérusalem, ce site est classé par l'UNESCO dans le patrimoine mondial de l'humanité. Notre guide ne l'avait jamais vu sous la neige. Et nous, nous nous sommes bien pelés !
Visite agréable de la ville de Koutaïssi, de son marché. Berceau de la Géorgie, capitale de la Géorgie orientale. Ses fondations ont plus de 3500 ans, elle est connue des Grecs comme la capitale de la Colchide et c'est là même que Jason et les Argonautes dans la mythologie vont récupérer la toison d'or !
Les sites historiques s’enchaînent toujours sous influence des romains, arabes, turcs, mongols, perses. Les restaurations sont parfois très audacieuses comme dans la cathédrale de Bagrati ou l'acier poli brillant gris anthracite vient se fondre dans la pierre blanche sur la hauteur totale de plusieurs piliers et sur une partie de la voûte intérieure, du coté de l'entrée du bâtiment. La ville grimpe sur la colline jusqu'à entourer l'édifice. Cette situation dominante permet d'avoir une vue sur les massifs enneigés qui recouvrent la ligne d'horizon. Le ciel gris est assez bas, le vent est froid. 
Nous poussons jusqu'à Borjomi. Ça peut être photogénique avec le ciel clair et des feuilles sur les arbres mais nous n'avons ni l'un ni l'autre. Il nous reste l'eau miraculeuse de cette ville thermale devenue station balnéaire sous le régime soviétique.
Ensuite Vardzia ! Mais avant, restau-dodo à Akhaltsikhé, la ville-fort. Les remparts sont hauts et restaurés, tout est tellement restauré, trop et sans beaucoup de finesse, un vrai cliché ! On sent, du coté de la pierre, le passé géorgien et du coté des décorations, des formes des toits, fenêtres, dômes, l'influence turque. Nous n'avons jamais été si près de la frontière de la Turquie, ceci expliquant cela. Joli couché de soleil laissant se découper dans le ciel devenu clair les remparts et les toits.
Le dernier clou de ce tour rapide de Géorgie, c'est le remarquable site de Vardzia. Une montagne rocheuse transformée en gruyère. Un site monastique du XIIème siècle détruit pas les perses au XVIème siècle avec toujours des moines sur place en 2015 et une véritable église avec ses peintures et ses cloches creusée dans la montagne. 
Cette cité troglodytique de 13 étages a comporté jusqu'à 3000 grottes et 5000 personnes d'après Wikipédia. Des galeries souterraines permettent de relier certains lieux et d'accéder à une réserve d'eau naturelle sous la montagne alimentée par un goutte-à-goutte, une vraie piscine gardée comme de l'or derrière une grille cadenassée !
Bombardements russes sur Gorki, 2008
Pour rejoindre Tbilissi, on passe par Gori. Rien d'exceptionnel dans cette ville qui a vu naître Staline. Le musée du fils du pays se visite avec la chapka et la doudoune, il n'est pas chauffé. Le discours du guide local ne fait référence à aucune des horreurs que l'on peut entendre quand on visite à Moscou le musée du Goulag. Les habitants ont longtemps réussi à éviter le déboulonnage de la statue du dictateur. Je n'ai pas fait de photo de cette ville mais j'ai trouvé sur le web celle ci-contre ; elle témoigne des destructions plus récentes (cliquez sur l'image pour accéder à l'information, source RFI). Ça nous permet de préparer psychologiquement notre retour à Moscou et d'évoquer ces champs de maisons toutes identiques au sud de l'Ossétie du Sud, que l'on va longer sur une partie de la route nous ramenant à Tbilissi. Ce sont des maisons de réfugiés géorgiens en Géorgie. Des Ossètes. L'indépendance récente de l'Ossétie du Sud n'est reconnue que par la Russie (ou presque) et une partie de la population a dû fuir. L'Ossétie du Nord est une république de la Fédération de Russie. Ce beau et terrible livre d'histoire à ciel ouvert qu'est la Géorgie continue de s'écrire.
Maisons de réfugiés ossètes, Géorgie 2015

lundi 13 avril 2015

Aï ia (Géorgie n°5)

C'est le printemps, aï ia, აი ია, voilà une violette, c'est la première leçon de géorgien dans les livres d'enfants. Et nous ce sont les premières fleurs que nous voyons sur les marchés. Mais sur les marchés, il y a des choses bien plus étranges et extraordinaires que les violettes : les churchkhelas !
Alors tout d'abord, nous sommes dans la voiture. Nous roulons. Nous attaquons la montagne, une petite. Ça tourne, ça tourne, nous sommes entourés de forêts. Et apparaît une immense muraille. Le coteau est déjà dans l'ombre, la muraille se perd dans le replis des collines, réapparaît un peu plus loin, au gré du relief. Nous rentrons dans la cité, en voiture. Et nous ne sommes toujours pas dans le cœur de la ville de Sighnaghi, déjà connue au moyen-âge ; la muraille fait des kilomètres. Et nous finissons par dominer la vallée. La vue est voilée, nous ne voyons pas les hauts sommets enneigés du Daguestan. c'est un peu énervant. Et les 20 degrés de la semaine dernière, quand est-ce qu'on pourra y goûter ? Patience. Nous ne perdons rien pour attendre, nous faisons un arrêt chez la meilleure faiseuse de churchkhelas du coin. Bon ça va, on m'en a fait goûter à Moscou, vous savez moi le caoutchouc... Ok, un petit bout aux noix, un petit bout aux noisettes. Aux noix, c'est le meilleur, y a pas photo. Ok, une photo, mais sur le marché. Là ça pendouille à gogo, on dirait des saucisses. Mais qu'est-ce que c'est ce truc, on en voit à tous les coins de rue ? Vous en mangez donc toute la journée ? 
Comme beaucoup de familles ont leurs vignes et font leur vin, ils font aussi tremper leurs cerneaux de noix dans le jus de raisin. D'abord ils enfilent les cerneaux -il y a beaucoup de noyers dans ces régions, comme en bourgogne d'ailleurs- et ensuite il font chauffer le jus dans lequel ils ajoutent un peu de farine pour l'épaissir. En séchant ça donne cette forme de saucisse ou de cierge dans laquelle on ne discerne plus les morceaux de fruits Certains ont même essayés de les allumer, en vain. Mais c'est 100% naturel. Allez, 2 aux noix et 1 aux noisettes pour faire plaisir à toute la famille. Mais une fois rentré à Moscou, ceux au noix ont été boulottés tout de suite et il aurait finalement fallu en prendre un carton entier. Moralité : ne jamais se satisfaire d'une mauvaise première impression !
Ensuite nous poussons jusqu'au monastère de Djvari. Si j'en crois les dates des photos, c'est deux jours plus tard. Mais il faut savoir si c'est la technique qui est au service de l'homme ou l'inverse. Pour moi, le choix est fait. C'est beau, même très beau. Par contre on a pris de la hauteur, la vue est dégagée, le monastère se détache du reste du paysage mais le vent, quel vent ! Cela ne m'empêche pas de m'éloigner car il a vraiment fier allure de loin. Le chemin me même droit vers un troupeau de vaches. Elles ont l'air bien paisibles mais les deux chiens qui arrivent en courant ont peut-être un autre message à me faire passer que le salut habituel. Je ne sais trop comment leur dire que je me moque du troupeau qu'ils gardent, sans qu'ils le prennent mal. Surtout que Lili nous a raconté il y a quelques heures qu'en allant voir des amis, elle a dû rentrer dans la cour pour s'approcher de la porte car personne ne répondait et le gentil chien n'a pas du tout compris sa démarche et elle s'est fait attaquer sérieusement par derrière. Moralité ne jamais se satisfaire d'une bonne première impression !  
Descente sur Mtskheta, une des plus vieilles villes du pays, ancienne capitale d'Ibérie entre le IIIème et le Vème siècle avant JC. Visite de la cathédrale de Svétitskhovéli du XIème siècle. On aperçoit depuis la ville le monastère de Djvari, qui se détache dans le ciel. 
Et alors ensuite, le miracle, c'est la cité troglodyte d'Ouplistsikhé. Là, avec cette cité de Dieu, on va chercher très loin : 1er millénaire avant JC. Une cave à même été identifiée avec des espaces creusés dans le sol pour stocker les jarres. Etape des caravanes de la soie mais victime de Tamerlan (je vous renvoie aux articles précédents) et victime également des tremblements de terre. On sent que les murs des grottes sont vieux, qu'il en a fallu des générations et des générations pour faire ressembler l’intérieur des roches à de belles habitations, polies par le temps. Il y a eu plus de 700 cavités. Au Xème siècle une église s'est perchée au milieu de la pente, sur les grottes, mais à la différence du monastère de David Gareja, plus aucun moine ne vit encore sur le lieu.
La vue du site est spectaculaire, mais celle depuis le site n'est pas mal non plus :

A suivre.

vendredi 3 avril 2015

საქართველო n°4

Le tamada, vous pouvez le voir en photo dans l'album Géorgie. Enfin, vous pouvez voir une très grande copie de la statuette en bronze du VIIème siècle trouvée dans les fouilles de la ville de Vani. Le tamada est celui à qui on attribue le rôle de chef de table lors de grands repas. Ce doit forcément être un homme, Il doit être un bon orateur, doit avoir beaucoup d’anecdotes à raconter car il anime, chante, porte des toasts. Il donne le signal pour boire et veille à ce qu'on ne boive pas plus que ce que l'on est capable de supporter. C'est toute l’ambiguïté. On remplit les verres, il faut les vider mais gare au déshonneur si on glisse sous la table. Le repas dure des heures. On est dans une fusion des cultures française et russe !


Quelques mots indispensables qui émerveilleront les Géorgiens que vous croiserez :
- Gamardjobat (bonjour)
- Madlopt (merci)
- Narvamdis (au revoir)

Quand on parle du tamada, on revient au vin. Et beaucoup de familles géorgiennes ont leur arpent de vigne et ses jarres. Donc rien d'étonnant à ce que dans les monastères, les moines aussi s'occupent de vignes. Ça leur plaisait bien en France, au moines, alors ! Dans l'Académie d'Ikalto, on trouve une magnifique église et un fouloir en pierre du XIème siècle ainsi qu'une grande quantité de jarres dont une série de grande taille encore enterrées jusqu'au col. Elles sont présentées comme des reliques, sans la terre qui les recouvre normalement pendant le vieillissement du vin ni avec le bouchon de liège qui doit les fermer.
Dans le monastère d'Alaverdi, les moines ont, encore de nos jours, une grande cave et l'on peut voir toutes sortes de jarres à l'extérieur dont une grande qui fait plusieurs centaines de litres. Ils ont aussi des ruches et vendent leur production. Le plus étonnant est leur pollen ; une fois dans la bouche, il me transporte dans les silos à blés juste après la moisson. L'odeur des grains jusqu'à la sensation de les sentir couler entre les doigts. Le bonheur. Je n'ai jamais mangé de pollen enfant, ça n'a rien à voir avec la madeleine de Proust ; c'est plutôt la mémoire des sens. Tout aussi fantastique.
La voiture encore. Pas moyen d'y échapper si l'on veut voir un certain nombre de monuments. Et puis ça tourne, c'est vallonné. Les montagnes ne s'arrêtent pas à la barrière de l'Atlas. J'ai fait l'erreur de ne pas regarder de carte détaillée avec le relief avant de partir et je n'ai pas pris de "mer calme" alors que nous en avons plusieurs boites à la maison. Heureusement les enfants grandissent, ils n'ont pas été malades. Ouf. Mais pourquoi s'arrête-t-on ici ? Nous sommes dans les bois. Il y a un homme derrière une petite barrière et l'on devine derrière lui un chemin qui grimpe. Un beau chien, dzarhli en géorgienblanc à long poils vient nous dire bonjour. Pas d'aboiement, jamais pendant notre séjour. Tant mieux, j'ai horreur des gueulards. Pas farouche, il se met sur le dos et attend les caresses en remuant la queue. En contrebas de la route, totalement invisible depuis la voiture, il y a de grandes baies vitrées et l'accueil pour les touristes. Le bâtiment est littéralement sous la route. Je me demande bien ce qu'il peut faire là, au pied de ce sous-bois. En tout état de cause, on ne peut pas dire qu'ils aient saccagé le panorama ; l'accès à ce qui va s’avérer être une ville-forteresse du IIIème siècle est bien camouflé. 
Nous montons donc le chemin, à pieds, après que la guide se soit acquittée des formalités. Ça fait du bien de marcher, de se défouler, de respirer le grand air. J'arrive au sommet ; attention au câble électrique au pied de la grande tour à moitié écroulée ! Non seulement je ne voyais rien depuis le bas à cause des arbres mais en plus, la haut, il y a 2 hommes dont un qui est assis et qui lit des prières à haute voix, au pied d'une croix dressée. Entre les murs des ruines, nous voyons les montagnes environnantes. Le site est grand. J'aperçois un muret en contrebas et un peu plus loin, se dresse une petite église encore entretenue, avec des icônes et quelques cierges allumés comme dans tous les lieux saint orthodoxes. Ce site est surréaliste. Il y a un semblant d'habitation privée creusée sous un murs en très mauvais état. L'herbe est verte. Le drapeau géorgien blanc à croix rouges flotte en haut d'un mat immense. Une cloche est suspendue au milieu de ce qui ressemble à une petite place. Des pièces de monnaie de Perse du Vème siècle ont été découvertes sur ce site. Non, moi je n'en ai pas trouvé.  Le roi Vakhtang et son fils y ont habité (vous vous souvenez ? Je vous ai parlé de lui dans l'article sur Tbilissi).

Un peu plus loin, un autre jour peut-être (vous retrouverez toutes les photos dans l'ordre chronologique dans l'album Géorgie)
La route serpente dans la forêt, il faut toujours monter pour aller chercher un nouveau monastère, une nouvelle église. Nous arrivons sur le site de Dzevli Chouamta. A cet endroit il y a 3 églises, les unes sur les autres, construites à un siècle d'intervalle, du V au VIIème siècle. L'endroit est paisible. Un troupeau de moutons avec son berger passe. Nous sommes hors du temps et c'est bien agréable.



Les églises géorgiennes, quel que soit leur âge, sont très différentes d'extérieur de leurs homologues russes. Elles sont en pierre brute, sans aucun bulbes et les croix ne sont composées que de deux axes. Les cloches sont dans un petit édifice extérieur comme dans les autres églises orthodoxes que j'ai pu voir. Donc pas de cloche en haut de l'édifice principal comme dans les églises catholiques. Le clocher est rarement très haut mais cela peut arriver comme dans le kremlin de Moscou où il domine tous les bulbes de l'ensemble des églises du site. 
D'extérieur, les églises orthodoxes géorgiennes ressemblent donc davantage à des églises catholiques qu'à des églises russes ; elles sont pourtant orthodoxes. L'intérieur est riche et coloré, des icônes sont contre les murs et des cierges brûlent à proximité, les faisant luire d'une lumière vivante. L'iconostase peut être en pierre ce qu'on ne voit pas à Moscou et une siège trône (c'est bien le terme approprié car rien ne ressemble moins à ce siège qu'un trône) au milieu de l'église. Il est strictement réservé au patriarche. On en oublie sinon que les orthodoxes ni ne s'assoient ni ne s'agenouillent pendant les messes qui durent des heures.

A suivre.