jeudi 21 mai 2015

Nijni

La nuit passée dans le train et le matin, vue sur la Volga et quelques pêcheurs. Des îlots au milieu des flots, couverts de hautes herbes, un air de fleuve sauvage peu navigable. Je pense à la Loire. Le ciel est clair. C'est le printemps. Grand soleil, les feuilles se sont enfin décidées à nous faire voir de quel vert elles se parent. Nous rejoignons notre hôtel sans taxi, les valises roulent et ce n'est qu'à dix minutes.


Nous sommes presque au pied de la très grande muraille blanche qui délimite le Kremlin.  A intervalles réguliers, aux coins -dont je ne peux voir s'ils sont au nombre de quatre seulement car mon regard n'embrasse que deux cotés de la construction et encore pas dans toute leur longueur- se trouvent des tours. Elles sont aussi d'un blanc éclatant sous les feux du soleil et chapeautées chacune d'un toit pointu à 4 côtés, en bois noir ou noirci par le temps et les intempéries. Les quelques tours qui font office de porte ont une toiture particulière ; sous leur faîte, une partie est ajourée permettant de surveiller de tous les côtés. Tout de long de la muraille l'on peut distinguer des meurtrières.

Mais ce qui retient le regard ce n'est ni le blanc éclatant des murs ni le noir des toits qui recouvre aussi une partie de la muraille mais le bleu des minarets. Quand on a vu un certain nombre de kremlins russes (forteresses je rappelle, кремль), découvert d'innombrables églises orthodoxes, que l'on est habitué à leur architecture, familiarisé avec leurs particularités, découvrir un bâtiment cerné de 4 hautes tours très fines a de quoi surprendre. Nous sommes dans le Tatarstan et cette république de la fédération de Russie est à majorité musulmane. Quand Ivan le Terrible s'est emparé de cette région, ce ne sont pas une mais plusieurs mosquées qui ont été détruites dans l'enceinte du kremlin. Ce n'est qu'en 1996 qu'a été reconstruite la nouvelle, après la chute de l'Union Soviétique, d'où ses couleurs éclatantes et ce décalage esthétique entre les parties du site d'époques différentes. 
La tour penchée
Ce qui empêche de dire que cette ville est belle, c'est ce mélange hétéroclite de styles. Autour du kremlin, l'on peu voir, d'un côté, des immeubles modernes en verre dont un énorme en forme de pyramide, un centre commercial, un stade, un cirque en forme de soucoupe volante, le tout desservi par d'énormes routes  De l'autre, le point positif, le poumon, c'est l'eau. La rivière Kazanka rejoint un peu plus loin le lit de la Volga. Mais l'eau n'est pas bleue et des grues au milieu s'acharnent à pelleter les bancs de sable et de terre qui affleurent. Et sur l'autre rive, la Riviera -c'est le nom qu'on peut lire au loin-, des immeubles terminés ou en construction et une autre soucoupe volante, un autre stade. Des étendues de terre et des squelettes d'immeubles en béton. Sur l'eau, proche de la rive opposée, un bâtiment avec un toit en forme d'énorme chaudron. C'est un symbole, Kazan voulant dire "chaudron". Mais c'est le dragon qui est le vrai symbole de la ville.
Le lendemain, nous partons pour une île célèbre car elle a abrité les forces d'Ivan IV, hors de vue de la capitale et qui lui permit de préparer son attaque. Une forteresse, des églises, comme d'hab. Il y en a une très belle en bois. Mais surtout nous sommes sur la Volga et l'immensité du fleuve nous remémore notre présence sur le sol russe et sur sa dimension infinie. Je retrouve le rythme et l'ambiance des rives du même fleuve à Yaroslavl. J'aime cet espace. Il n'y a aucune embarcation car nous sommes encore hors saison pour la navigation. Il faudrait pourtant prévoir de faire le tour de cette île par l'eau, c'est là que l'ensemble est le plus majestueux. Nous en avons eu un petit aperçu depuis la route. Route qui va jusque sur l'île. C'est donc une presqu'île. Si vous voulez.
Le tatar est aussi une langue à part. Ils ont adopté l'alphabet cyrillique mais ont dû ajouter quelques lettres pour permettre la représentation de tous leurs sons. Alors les noms des rues sont indiqués dans les 2 langues. Et l'on peut lire quelque fois des affiches ou des enseignes qui comportent des lettres inconnues. Ce n'est pas du russe ancien comme l'on peut en trouver à Moscou mais du tatar !
Nouvelle nuit dans le train. Route (voie ferrée, d'accord) pour Nijni Novgorod. J'adore le nom. C'est un bon début. On est tout de suite dans le vif du sujet, la Volga. Ici, c'est l'âme de la ville, avec son affluent, l'Oka, car comme Kazan, la ville est à un carrefour. Oui, un confluent. La ville est devenue célèbre grâce aux commerçants qui naviguaient et pour qui, les uns en provenance du nord, les autres du sud, on a fini par créer une immense foire sur la partie la plus accessible mais inondée une partie de l'année. Cette foire fut rebâtit en brique suivant le projet de l'espagnol Betancourt et par l'architecte français Montferrand qui fit aussi plus tard la cathédrale Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg (voir les articles sur cette ville très différente de Moscou et l'album qui lui est dédié). C'est bien la preuve que la Russie peut être européenne...
La ville est en deux partie, la partie haute, au nord de l'Oka, est sur une bute. C'est là que fut construit le Kremlin. Et c'est d'ici que partit la rébellion pour faire tomber le régime de Moscou à la solde des Polonais après la fin de la première dynastie Riourikide. Les deux compères rebelles qui réussirent à mettre sur le trône la nouvelle dynastie, celle des Romanov, ont leur statue devant la cathédrale Saint Basile, sur la place Rouge. Mais tout ça, ça ne se voit pas quand on arrive dans le kremlin qui domine la ville et offre une vue magnifique sur les 2 rivières. Quelques jours avant la grande fête patriotique, l'ambiance est bon enfant ; enfin des jouets en taille réelle !
La ville basse est toute plate et c'est là que se trouve en particulier la foire évoquée plus haut. Il y a maintenant plusieurs ponts pour relier les 2 parties de la ville mais la circulation peut être très ralentie et il faut parfois des heures pour traverser. La partie basse de la ville est tellement basse qu'elle fut inondée et marécageuse. La grande église qui y a été construite à proximité de la Volga n'est pas sur pilotis mais plus fort encore, ses fondations reposent sur un radeau de chêne, qui gonflé d'eau est devenu extrêmement solide. A l'époque soviétique, c'est plusieurs centaines d'églises qui ont été rasées dans cette ville ! Staline fit rebaptiser la ville Gorki pour forcer l'écrivain en revenir dans sa ville natale depuis son exil en Italie. Et jusqu'à une époque récente, elle était interdite aux étrangers du fait de sa production d'armements.
Et c'est déjà la fin de ces petites vacances, la semaine suivante s'annonce chargée : cinq visiteurs débarquent de France dans notre pied-à-terre moscovite !