jeudi 31 août 2017

Kamtchatka part 5

Mardi 18 – mercredi 19 juillet 2017
Le temps restera ensoleillé plusieurs jours et nous pourrons, le mardi et le mercredi, enchaîner deux sorties aériennes. Depuis Pétropavlovsk, deux destinations sont proposées aux touristes sur des sites protégés exceptionnels, à moins de deux heures de vol avec interdiction de dormir sur le site. Nous verrons quand même quelques tentes dans le camp du lac Kourile. Les sorties sur place sont encadrées par des guides anglophones et des gardes armés de fusils. Les ours sont nombreux, 20 000 au Kamtchatka et 1000 rien qu’autour du lac. La population de ces grands mammifères aurait – selon certaines sources - réduit assez considérablement du fait de la chasse et d’activités de braconnage. Et même si la nourriture est abondante (saumons), des accidents surviennent, souvent fruits de l’imprudence humaine. Nous devons rester groupés derrière le garde. Nous devons rester sur nos gardes !

Départ à 10h40 de l’hôtel, ces deux journées sont assez courtes mais très bien organisées. C’est la première fois en Russie que nous sommes face à une structure touristique de haut vol. Certes, il y a un an ou deux, un hélicoptère se serait écrasé à cause d’une surcharge du nombre de passagers (je n’ai pas retrouvé trace de cette histoire pour donner une date précise), les accidents au Kamtchatka concernent plus souvent le ski hors piste qui demande la dépose des clients sur les sommets. Nous prévoyons d’être vigilants.
Mardi et mercredi seront découpés en trois parties : la visite du site proprement dit, une baignade dans un lac volcanique sur un autre site – où nous nous rendrons pas les airs – et un repas pique-nique dans ce même lieu sauvage et reculé. Pour commencer, un minibus Aeroflot nous prend devant l’hôtel. Nous quittons la zone goudronnée. Un gros hélicoptère sur un promontoire, transformé en sculpture, nous assure, au dernier carrefour, que nous sommes proches de la base. Nous descendons sur un petit parking non goudronné. Pour l’instant, on est loin du standing des aéroports.  Nous franchissons à pied la barrière du site. Sur la droite, deux chalets-boutique : l’un vend du saumon, le second des objets plus touristiques avec le logo Kamtchatka. Plusieurs bancs, faits du même bois, permettent de profiter de l’ombre fournie par plusieurs arbres. Le temps est clair, le soleil brille. Quelques mètres plus loin, en arrière plan, un petit hélicoptère blanc parade, lui aussi relégué en pièce de musée en plein air.
En face de lui, sur notre gauche si l’on s’en tient à notre point d’arrivée, le bâtiment très moderne de l’héliport. A l’intérieur – minuscule en comparaison des aéroports que nous sommes habitués à fréquenter – un accueil avec deux hôtesses, surmonté de deux grands écrans sur lesquels rien n’est affiché. Tout est neuf, on a l’impression qu’ils n’ont pas encore eu le temps de les brancher. Plusieurs rangées de fauteuils permettent aux passagers de patienter. Une cinquantaine de sièges peut-être, une dizaine occupés et quelques personnes « en marche » dans cet espace. Des photos du Kamtchatka ornent les murs. Une impression très professionnelle et réconfortante se dégage de cette atmosphère.
On donne nos passeports. On nous les rend avec une grosse étiquette en plastique sur laquelle est gravé, en très gros caractères, le numéro du vol, à trois chiffres. Un grand ruban bleu nous invite à la porter autour du cou. Une demi-heure plus tard, des haut-parleurs annoncent notre numéro. Ce devait être 609 car, que l’on prenne l’étiquette dans un sens ou dans l’autre, nous pouvions lire le même numéro ; ils pensent à tout ces Russes ! 

Nous identifions notre nom inscrit sur la liste de la vingtaine de passagers. Aucun portique de sécurité ni radiographie des sacs. Une guide, parlant un anglais parfait, nous regroupe à l’arrière du bâtiment, sur le tarmac. Conseils de sécurité : nous nous rendons à pied à notre hélicoptère donc on ne s’arrête pas pour faire des photos même si elles ne sont pas interdites, on reste groupé. La flotte n’est composée que d’une vingtaine d’appareils. Plusieurs gros hélicoptères sont devant nous. Certains en entretien. Le personnel au sol se déplace en vélo d’un hélico à l’autre. Ça donne un côté asiatique à l’ensemble. Il est vrai qu’on peut difficilement être plus en Asie, nous sommes au nord du Japon. Des gros hélicoptères au milieu de la verdure, avec des hommes en bicyclette, c’est une image déjà vue dans les films de guerre américains.
Je n’avais jamais approché un de ces appareils. Les gros hélicoptères MI-8 russes sont plus connus dans des contextes militaires ; ici ils sont peints en blanc avec une grande bande rouge qui va en s’élargissant vers l’arrière. Un petit drapeau blanc-bleu-rouge est peint sur la queue tout de même. Ni roquette, ni mitrailleuse mais bien cinq immenses pales. Le train d'atterrissage est composé d'une double roue à l’avant et une de chaque coté à l’arrière, non rétractables. L’ensemble donne une impression de robustesse. Cinq hublots de chaque côté, un petit escalier de trois ou quatre marches pour grimper – petite échelle métallique qui sera basculée à l’intérieur avant de fermer la porte. Ces petites fenêtres, quand elles sont rondes, ce qui n’est pas toujours le cas, donne à l’engin une allure de submersible prêt à partir au fond des océans. Mais restons au-dessus, ce sera préférable. D’ailleurs, il y a une base de sous-marins dans la baie de Pétropavlovsk, à côté d’une ville fantôme - Vilioutchinsk -, à laquelle on n’accède qu’avec des autorisations spéciales.
Seul le cockpit des pilotes est entièrement vitré. Et encore il faut relativiser. Certains ont leur pare-brise découpé en sept vitres - séparées par des montants métalliques - sur une circonférence de 180 degrés avec seulement deux plus petites au niveau du plancher, de part et d’autre du petit nez de l’appareil. Et d’autres ont un nez plus petit et plus bas ce qui permet d’avoir une petite vitre supplémentaire, basse et centrale. Dans tous les cas, les pilotes peuvent avoir une sensation de vide sous eux, ce qui n’est pas du tout la situation des passagers. Dommage.
A l’intérieur, un couloir central et des rangées de deux sièges de chaque côté. Les hublots, qui paraissent plus grands que dans les avions, sont moins épais, ce qui ne garanti pas leur propreté. Les photos seront moins claires qu’en plein air et il y aura souvent une pale qui viendra se figer lors du déclenchement, même à la vitesse de 1/8000 seconde. Le lendemain, notre hélicoptère sera agencé différemment : les fauteuils seront adossés à la cloison et neuf passagers seront face à neuf autres, alors que les trois derniers seront dos à la cabine de pilotage. Un hublot intérieur nous permet de voir les pilotes, et inversement. La jeune femme, qui nous a conduits à l’intérieur, reste avec nous et sera notre guide sur le site de destination. Elle nous distribue à chacun un casque jaune sans fil, à placer sur les oreilles pour atténuer le bruit des rotors. Je finirai par l’enlever car la protection est partielle, la gêne certaine et la chaleur de trop. Et systématiquement, quand j’enlève mon chapeau, je m’assomme en sortant de l’hélico (la porte est basse). Le temps d’attente est plus ou moins long avant le décollage. Le deuxième jour, j’en profiterai pour relire notre programme de voyage, le nom des volcans. Je relève la tête pour ranger mes lunettes dans mon sac et… nous sommes déjà dans les airs ! Voilà, pour résumer les impressions au décollage. Aucune. A l’atterrissage,  c’est la même chose et l’on comprend pourquoi quand on assiste à la manœuvre de l’extérieur : l’hélicoptère reste en suspension très près du sol jusqu’à réduction totale de sa vitesse et, ensuite seulement, il se pose, en douceur, comme une feuille. Inutile donc de prévoir des médicaments contre le mal de mer. 
Baignade dans une eau à 40°, trop chaude pour certains.
Le grand intérêt des vols que nous avons effectués est qu’ils se déroulent à une assez basse altitude. On discerne les arbres et les rivières et on survole des volcans de 1500 mètres d’altitude. Le paysage est sauvage, le kraï du Kamtchatka (et oui, ce n’est pas un oblast) est presque désert avec 0,7 habitants au km2, alors que la Russie a déjà une moyenne faible inférieure à 9. En France, en comparaison, il y en a presque cent. Le plus extraordinaire s’est produit en allant à la vallée des geysers. Bien plus fantastique que les geysers eux-mêmes. Le vol était clair, ensoleillé. Quand la météo est mauvaise, les vols sont annulés, ce qui garanti aux chanceux des voyages tranquilles et une vue dégagée, au moins partiellement. Mais le vent ne s’interrompt pas pour autant. Le temps reste changeant sur cette péninsule et d’ailleurs, voilà quelques volutes grises ! Peut-être que ça va secouer si l’on traverse une zone de turbulence. Moi qui viens d’écrire qu’on n’a pas de sensation dans ces gros bourdons volants, j’aurais peut-être dû rester un peu plus humble. Mais ma pensée ne va pas plus loin : nous sommes à côté, au dessus, à portée de main, au même endroit, au bon endroit, at the right place, nous sommes au bord du cratère d’un volcan en activité ! Ce n’est pas possible, je rêve ! Une énorme fumée noire s’échappe des entrailles de la terre, de cette montagne en forme de cône, là, juste devant. Mais regarde ! Là ! Ce qui peut sembler si banal après toutes les images déjà vues de ce phénomène, prend, de notre point de vue, une force inouïe. Nous sommes si près qu’aucune de nos photos ne rendra la grandeur de la scène. Au cœur de l’évènement, c’est d’une force à couper le souffle. Impensable de croire qu’une telle charge d’émotion puisse être produite par ce spectacle, par ce volcan en activité, le Karymski - Карымская сопка -, 1486 mètres. Il est en irruption depuis 2001. Cela fait donc 16 ans qu’il crache, éructe, fume. Ce n’est pas étonnant que personne ne nous ait prévenus, que le pilote sache exactement où passer sans se retrouver dans la fumée, sans se faire surprendre par le vent. La banalité de la vie terrestre du Kamtchatka. Un non-évènement. Et pourtant, j’ai l’impression d’assister à la création, sinon de l’univers, du moins de notre planète. Nous ne sommes vraiment rien de plus qu’un esprit à qui l’on a octroyé cette faveur ultime de contempler la force de la matière. L’hélicoptère peut bien m’emporter où il veut maintenant, je suis comblé. Et le pilote contourne la montagne de feu pour offrir cette vision aux passagers assis de l’autre côté, qui maudissent le sort de les avoir placés à cet endroit.
A peine remis de nos émotions, nous survolons cette fois le volcan Maly Semyatchik - Малый Семячик -, 1520 mètres. Le cratère, de 500 mètres de diamètres, est occupé par un lac aux propriétés particulières : sa forte concentration en acides lui donne une couleur bleu turquoise. Autrement dit, sous le soleil, la scène est très belle. Les hublots sont par contre toujours aussi sales. La seule solution pour la photographie est de louer son hélicoptère personnel et d’ouvrir la fenêtre. Mais ça, on verra pour la prochaine fois. 

A suivre

dimanche 27 août 2017

Kamtchatka part 4, l'ascension

Le guide nous avait proposé trois options. Soit nous grimpons comme prévu en espérant une éclaircie plus haut, soit nous attendons que ça se dégage, soit on retourne à Pétropavlovsk et on trouve une activité de remplacement. La majorité moins une voix opte pour la première option. Je me décide pour le grand angle, mon sac à dos est déjà assez lourd et je ne vais pas changer d’objectif par un temps pareil.
Un guide ouvre la marche, un autre la ferme. Parfait. Je pars devant pour faire des photos. Vania trace en ligne directe, face à la pente, malgré la neige. Nous avons 900 mètres de dénivelé jusqu’au sommet. Je me permets de faire de petits lacets en marchant pour moins me fatiguer et moins glisser. Pierre sent aussitôt que Vania a adopté une stratégie tout à fait incompatible avec la résistance physique de plusieurs femmes du groupe : il entreprend donc d’ouvrir une trace qui dessine de grandes boucles et, rapidement, elles sont quatre marcheuses à le suivre, dans ses pas. Sans lui – hommage lui soit rendu -, elles ne seraient pas montées si haut. Le vent souffle encore et le ciel se dégage par moment, nous laissant voir de beaux volcans. Petit à petit, alors que nous arrivons à mi-parcours, se dessine l’océan Pacifique. Iégor, qui parle anglais, nous explique que la pente va se raidir, la largeur de la voie se rétrécir et que les grands virages ne seront plus possibles.
Il se propose de redescendre doucement avec ceux qui le désirent. Nous buvons un coup et la moitié du groupe se décide à le suivre. Pierre, Marc et moi, accompagnés des deux ados, poussons jusqu’au sommet avec Vania. Nous sommes dans un nuage : un crachin assez épais ne nous lâche plus. Nous remplissons nos gourdes à un mini torrent et nous arrivons au cratère du volcan. Nous ne voyons pas plus d’un côté que de l’autre. Nous restons groupés pour ne pas nous perdre de vue. Vania pour propose de poursuivre sur la crête. Nous descendons sur un petit plateau, dans le cratère, légèrement en contrebas. Il ne pleut plus, nous faisons une pause avant de rebrousser chemin. De l’eau et trois tablettes de chocolat sont aussitôt avalées. Natalia et Sourire (traduction de Michiyé, prénom yakoute) sont restées au campement pour cuisiner et un petit repas nous attend dans le camion. Rien ne nous a été distribué en fruit sec ou autre barre énergétique. Le petit-déj est loin, entre cinq et six heures maintenant. Ce n'est ni pro ni raisonnable, j'ai fais confiance à l'encadrement, je n'aurais pas dû.

Nous reprenons la crête du cratère pour emprunter le même itinéraire en descente. Pas de pluie. Du vent. Le miracle se produit, une éclaircie apparaît. Se dégage alors des volcans à perte de vue. Et par delà la chaîne volcanique, l’océan Pacifique. C’est d’autant plus grandiose que c’était une purée de pois quelques minutes plus tôt et que, déjà, d’autres nuages se précipitent. Allez, on redescend… Mais attendez, venez voir nous crie Marc, resté quelques mètres en arrière ! Le cratère, qui n’était qu’un immense nuage gris, s’éclaircit et dévoile sa profondeur ainsi qu’un petit lac. Beau spectacle bien mérité ! Nous ne sommes donc pas montés simplement pour le plaisir de l’effort et du défi. La première partie est très pentue, la terre caillouteuse, et mon genoux droit est douloureux à chaque flexion, m’obligeant à claudiquer. Je connaissais le risque. Ensuite, la descente dans la neige, moins pentue, se fait en douceur. Le pied s’enfonce de plusieurs centimètres, créant un effet d’amortisseur. Je n’ai plus mal. Mais j’ai bien reçu l’avertissement. Dès que je peux, je me laisse glisser sur les fesses ou sur mon sac à dos. Il faut rester prudent et contrôler sa vitesse car des ilots de pierres volcaniques noires sont visibles, régulièrement je dois freiner jambes tendues. Nous mettons cinq fois moins de temps pour rejoindre le Kamaz qu’il n’en a fallu pour atteindre le sommet. Dernière glissade, je m’immobilise devant une partie rocheuse et m’appuie sur mes bâtons pour me relever, dans un enchaînement parfait. Mauvaise idée. Celui de gauche se plie aussitôt à angle droit. Je n’ai pas d’autre option que de le redresser et il se casse. C’est la limite des bâtons télescopiques ! Il est 16 heures. 

Arrivé au véhicule, je dévore la salade dans le plat commun. Ils ont oublié les assiettes. Ça n’a aucune importance pour moi. Un peu de saumon fumé, un blini pour conclure, une vaisselle succincte dans l’eau qui ruisselle tout autour de nous. La première partie du groupe a fini de manger depuis un moment déjà, mais sans salade composée car ils ne trouvaient pas les fourchettes ! Nous reprenons la direction du campement où les cuisinières nous préparent le repas. Dix-sept heures et il nous faut manger tout de suite – c’est le repas de midi – car nous avons encore quatre heures de route jusqu’à l’hôtel où nous devons passer la nuit. Evidemment je n’ai pas faim. Natalia n’arrive pas à comprendre ce qui ne nous plait pas dans sa cuisine. Et nous ferons encore annuler le dîner.


Bonne nouvelle : la météo sera au beau fixe demain, les hélicoptères pourront voler. Sortie prévue : la vallée des geysers. Nous demandons à partir en priorité au lac Kourile, voir les ours se repaître de saumons. Le temps de boire un verre et Sacha – le responsable - nous confirme que le changement a pu être opéré.

A suivre

vendredi 25 août 2017

Kamtchatka, part 3

Dimanche 16 et lundi 17 juillet 2017
Deux jours sur les volcans. Le matin de bonne heure, le Kamaz nous attend. Il s’agit du véhicule qui va nous transporter à travers la nature sauvage. Les roues font un mètre de diamètre et les fenêtres sont à deux mètres de hauteur. C’est un camion tout terrain avec une vingtaine de sièges, un engin soviétique à six roues motrices, incassable, du genre Waz que nous avons utilisé au Baïkal – entre autres – mais en beaucoup plus gros. Nous avons droit, en plus du chauffeur, à un guide anglophone, un guide de montagne russophone qui connait bien la région et tous ses volcans, une cuisinière et une aide cuisinière. L’équipe est entièrement russe, jeune et fort sympathique.

Nos deux cuisinières, de Sibérie, ont fait notamment des études de philosophie, ce qui fait tomber les à priori que l’on serait tenter d’avoir vis-à-vis des peuples qui vivent dans des conditions difficiles et reculées. Elles évoquaient Nietzsche au petit déjeuner, en préparant la cacha. Natalia, native du Kamtchatka, étudie maintenant le chinois à Shanghaï et Michiyé, de Yakoutie, vient de terminer des études de finances et a envie de poursuivre par des études de langues.
Nous roulons au pas sur une route que seul un pilote avisé voit. Puis, pour un besoin d’air, Vania force une petite fenêtre coulissante qui résiste à l’ouverture. Et au lieu de glisser, le verre explose, s’éparpillant sur les sièges proches en une multitude de petits éclats. L’arrêt suivant, le chauffeur fabriquera une vitre avec du film plastique transparent, pour limiter le vent et la pluie qui va se remettre à tomber quelques heures plus tard. Mais en attendant, le soleil brille – le vent est si fort qu’un nuage chasse l’autre – et c’est une première crevaison ! Les pneus sont imposants mais l’objet métallique responsable de l’incident fait bien cinq centimètres de long. Le chauffeur ne veut pas nous voir dans ses pattes. Nous prenons donc de l’avance, sur la route – ici en cailloux –, au milieu de la forêt, sur une colline. Nous grimpons et les arbres se font plus rares. Des poteaux métalliques de six mètres de haut se dressent sur le bas-côté du chemin. Ce sont des indicateurs en cas de chute de neige, très importantes l’hiver.
Après être remontés dans notre véhicule, nous arrivons au bout du chemin. Nous sommes devant une centrale géothermique, la principale du Kamtchatka. Au milieu des volcans, à quatre-vingt kilomètres de Paratunka soit 130 de Pétropavlovsk, elle assure, selon notre guide, 40% de la production en énergie de la péninsule. On aurait pu trouver plus glamour pour un pique-nique ! Mais, au moins, nous avons quitté les forêts : il n’y a pas de moustique ici. Nous nous sommes arrêtés là pour une toute autre raison : c’est le point de départ d’une randonnée. Nos guides, aussi compétent et sympathiques soient-ils, ne ressentent aucune gêne à manger debout entre un camion et une usine alors que nous venons de rouler des heures dans un paysage époustouflant.

Sac à dos, bâtons, on est parti. Nous sommes plusieurs à être venus avec des bâtons de marche. Et l’agence a bien fait les choses car ils en ont aussi un certain nombre, tous neufs. L’effet de groupe encourage ceux qui ne connaissent pas les bienfaits de cet accessoire, à s’équiper aussi. Seul Pierre, le plus sportif de la bande, part les mains dans les poches. Mon angoisse est que les bâtons soient un obstacle à la prise de photos, que mes deux mains ne me suffisent plus. J’ai, pour palier à cette éventualité, opté pour un sac à dos permettant de les accrocher à l’extérieur.
Nous marchons plus d’une heure dans la neige, à flanc de volcan. La pente est assez raide, nous ne sommes pas très haut en altitude mais gare à celui qui laisse échapper un objet, il risque de glisser sans s’arrêter. Il y a de la végétation par endroit, des arbres bas, allongés, comme des arbustes. Une espèce particulière d’un feuillu dont j’ai oublié le nom. Soudain, plus de neige, mais de la terre nue sur une dizaine de mètres. Le sol est détrempé, les chaussures s’enfoncent, ça glisse, c’est très désagréable. Puis le sol se durcit alors que nous traversons un massif d’une plante sauvage très toxique, qu’il nous faut éviter absolument de toucher. Elle fait plus d’un mètre de hauteur et a un air de cannabis. Un chemin étroit nous permet d’atteindre la roche. Et là, nous comprenons le choix de cette destination : une multitude de fumerolles s’échappent de la terre, de l’eau jaillit à 90°, avec plus ou moins de force. 
En amont, la roche est jaune et les fumées finissent par se confondre avec les nuages blancs qui filent sur le ciel bleu. En aval, nous pouvons descendre jusqu’à un tout petit cours d’eau nourri par des sources chaudes mais aussi et surtout, d’une grande quantité de neige présente plus haut, sur le versant nous faisant face. Sur le chemin du retour, nous faisons un détour par une piscine naturelle, chaude et soufrée, en plein air. Une légère odeur d’œuf pourri accompagnera les quelques volontaires pour ce bain imprévu de quelques minutes. Un petit chemin conduit à une grosse maison, en amont : celle du directeur de l’usine. En repartant, la pente est raide et enneigée. Ça glisse. Nous découvrons une crotte d’ours, sèche, la bête est loin maintenant.

Nous remontons dans notre camion pour rejoindre le point de campement prévu, sur le grand plateau enneigé, aux pieds des volcans, traversé quelques heures plus tôt. Aucun arbre, aucune plante, dans une ambiance de désert, il nous ouvre ses bras. Mais le vent est si fort et les giboulées si fréquentes que le guide descend seul et décide, après de 10 minutes de tergiversation, de ne pas nous imposer ces conditions extrêmes. Le problème n’est pas de constater que le temps est mauvais mais de trouver une alternative. En route.
L’inquiétude et la tension ne va pas cesser de monter dans l’heure qui suivra car la pluie se remet à tomber, le sol est détrempé. Nous perdons un peu d’altitude, la végétation refait son apparition et nous craignons d’atteindre la zone où pullulent les moustiques. Nous roulons lentement, très lentement quand nous sommes sur la neige. Ensuite, au pas, après avoir quitté le chemin, le Kamaz tangue tel un bateau ivre, pour traverser les ornières ; nous ne sommes pas très rassurés, n’étant pas encore familiers avec son sens de l'équilibre. La nuit arrive, nous craignons d’avoir à installer le campement une fois le soleil dissimulé par un des multiples volcans formant la ligne d’horizon, quand les nuages cèdent, à contre cœur, le devant de la scène. Et ces heures de route qu’il va falloir refaire le lendemain pour atteindre le volcan dont nous devons faire l’ascension !
Le camion finit par s’arrêter. Le guide inspecte le terrain. La discussion a dû être tendue pendant tout ce temps, avec le chauffeur, dans sa cabine. Comme les gros véhicules de marchandises, la cabine du conducteur est disjointe du grand habitacle des passagers. Une radio, accrochée sur la cloison, permet la communication entre les deux parties. Mais là, aucune nouvelle. La porte finit par s’ouvrir, c’est bon, on s’installe ici ! Il ne pleut pas, le terrain n’est pas trop mouillé mais il n’est pas très plat. Des tentes toutes neuves sont déchargées. Vania nous déplie la première pour nous montrer la procédure et nous plantons, dans la foulée, nos cinq igloos. Pendant ce temps, l’équipe d’accompagnants installe la grande tente pour la cuisine et les repas.
La vue est belle même si les nuages sont très nombreux. Le plus grand des volcans nous dominant reste coiffé par les nuages. Le vent est fort et nous comprendrons le lendemain, en venant dîner au même endroit, que c’était une chance, car le lieu est, sinon, envahi par les комаров, les moustiques. La nuit est bien noire mais sans étoile ; nous dînons dans la tente verte. Nos cuisinières ont préparé une soupe à la viande délicieuse. Nous avions emporté une bouteille de vin rouge. Parfait. Un peu de saumon fumé. Nous en mangerons plusieurs fois par jour, c’est l’aliment de base ici, dirait-on ! L’une d’entre nous finira par saturer de ce - pourtant – délicieux poisson.

Nous passons une bonne nuit dans des sacs sarcophage tout neufs, prêtés par l’agence. Cacha au petit dèj, comme tous les matins. A l’hôtel, c’était accompagné de crêpes et d’œufs, ici avec des blinis frits. Nous replions les tentes et c’est reparti, direction le volcan. Ça saute, ça secoue, nous sommes habitués maintenant. Le ciel est encore gris et très bas ce lundi. Chacun prend ses bâtons, je mets mon pantalon de pluie, laisse la polaire dans le petit sac à dos que je recouvre de sa housse imperméable. Le guide nous propose trois options. Soit nous grimpons comme prévu en espérant une éclaircie plus haut, soit nous attendons que ça se dégage, soit on retourne à Pétropavlovsk et on trouve une activité de remplacement. Alors ?

A suivre

samedi 19 août 2017

Kamtchatka part 2, Petropavlovsk

Pas question de dormir pour absorber le décalage horaire : nous enchaînons avec une journée occupée. Exploration de la ville de Pétropavlovsk-Kamtchatski, il est dix heures du matin. Pour nos corps, il n’est qu’une heure. Les monuments urbains sont sans intérêt, heureusement que nous ne sommes pas venus pour ça. Vue sur la ville, sur la baie. Iégor, notre guide russe anglophone, nous propose un restaurant coréen : heureuse idée puisque nous sommes proches de ce pays asiatique, comme jamais ! Je mange une soupe au kimchi très épicée. Mais quand est-ce qu’on dort ?
Nous partons pour la grande plage de sable noir de Khalaktirski : 20 km de longueur sur le Pacifique. Les éclaircies sont d’autant plus belles que le ciel reste couvert. Les risques d’intempéries ont cloué au sol les hélicoptères ; c’est fréquent, nous avons été prévenu, le temps est imprévisible ici, entre la mer d’Okhotsk et l’océan. Quelques heures plus tard, nous apprenons que notre baptême de l’air de demain est, lui aussi, à l’eau ! Le vent permanent finit tout de même par dévoiler le sommet de quelques volcans. Ce n’est pas un rêve, nous sommes bien au bout du monde ! Un cerf-volant égaie le ciel. Quelques courageux se baignent.

Samedi 15 juillet 2017
Nous n’avons pas fêté le 14 juillet. Pas d’alcool à l’hôtel, ce n’est qu’une simple cantine avec une piscine découverte. Petite station balnéaire sur des sources d’eau thermale, les bassins sont rattachés à d’autres bâtiments et quelques minutes à pied suffisent pour s’y rendre. Nous sommes à Paratunka, à 50 km de Pétropavlovsk. Il ne faut pas sortir découvert : les moustiques sont gros et nombreux. Nous nous pulvérisons tous de répulsif. Pantalon et manches longues sont recommandés. Une vision de cauchemar dans le bassin, lors de notre première baignade : un homme sort de l’eau, le dos entièrement rouge, couvert d’énormes piqûres. Il n’y a que sous l’eau qu’on peut avoir la paix. Le dernier jour, nous constaterons qu’une petite pièce à l’entrée de l’immeuble de l’hôtel dispose d’un grand réfrigérateur avec des bouteilles de bière.
La nuit a été difficile : réveillé naturellement à 1H30, j’ai du mal à retrouver un sommeil profond. Pendant que nous savourons un petit déjeuner russe copieux fait de cacha, blinis et omelette, un rideau de pluie se dessine derrière les grandes fenêtres. Nous sommes au milieu de la forêt, la végétation est luxuriante, tout est vert. Nous ne voyons plus le dessus des montagnes.
Hier, le long de l’immense plage de sable noir, nous avons pu voir de petites fleurs sauvages très colorées. Soyons positifs. Aujourd’hui, nous prévoyons une sortie en bateau. L’eau est calme, un véritable lac, dans cette baie très fermées comme il en existe peu dans le monde. Le ciel est couvert, il pleut encore. Les seules couleurs seront celles des gilets de sauvetage. Nous apprenons que nous ne mangerons pas sur le bateau. Alors nous allons au restau de crabe, la spécialité locale. Nous achetons, pour dix personnes, un crabe de 5 kg, que nous choisissons dans un vivier. Il s’agit du fameux crabe du Kamtchatka, bien entendu. Sa saveur est exceptionnelle. Avec un simple court-bouillon, c'est délicieux. Une heure de cuisson tout de même.

Nous finissons par embarquer et longeons la côte sauvage où de nombreux oiseaux nichent sur les falaises. Ciel gris, océan gris, peu de vagues mais des ombres noires sautent hors de l’eau sans que je puisse déterminer la taille et la nature de la chose : ce sont des saumons. Nous arrivons aux rochers des trois frères, trois monolithes près de la côte, trois immenses pitons rocheux rappelant la baie d’Ha Long au Vietnam. Le bateau jette l’ancre. Nous pouvons aller sur l’avant du yacht avec un gilet : pointe blanche en forme de triangle, glissante, avec une balustrade très basse. Nous pourrions facilement passer par-dessus bord. Une partie du groupe se prête au jeu de la pêche au lancer. Les deux ados sont les plus chanceuses, elles sortent chacune une espèce de rascasse noire aux nageoires latérales en forme d’éventail.
Nous passons du pont à l’arrière, de l’arrière au salon. Deux belles tables de victuailles et bientôt du poisson frit.  Heureusement que nous ne devions pas manger. C’est la fin de l’après-midi. Ensuite viennent les crabes. La technique pour manger les pattes est simple et ludique : cassées aux articulations, la plus fine extrémité permet de pousser vers le haut la chaire cuite, ferme et savoureuse coincée dans les autres parties en forme de tube. Nous nous gavons sans pouvoir terminer tout ce qui nous est proposé. Nous serons obligés de décommander le repas du soir prévu à l’hôtel.

Le décalage horaire se fait toujours sentir. Enfoncés dans le canapé en cuir du bateau, les yeux se ferment. Le crachin n’en finit pas de tomber. Par temps clair, nous devrions voir, tout autour de nous, des volcans aux sommets enneigés. Retour au port. Deux ou trois d’entre nous ont la chance d’apercevoir un phoque depuis le poste de pilotage de l’étage, aéré mais couvert et préservé de la pluie par des bâches plastiques transparentes. Demain sera un autre jour, un autre temps.

A suivre

jeudi 17 août 2017

Kamtchatka, part 1

Jeudi 13 juillet 2017
Nous – un groupe d’une dizaine d’amis français vivant à Moscou, trois couples et deux adolescentes –  sommes dans l’avion pour Petropavlovsk-Kamtchatski. Il est vendredi là-bas, neuf fuseaux horaires plus à l’est.
Il nous à déjà fallu une heure et demie, avec les ralentissements dans la capitale en plein travaux, pour atteindre l’aéroport. Un instant de trop, immobilisés, nous avons craint de ne pouvoir arriver à temps. Le taxi a démarré après une pluie très violente mais nous décollons pourtant sous le soleil : c’est un signe de bonne augure !
A mon grand étonnement, la partie Est de la Sibérie est très montagneuse, sur des milliers de kilomètres. Une fois passée la plaine de Sibérie occidentale entre l’Oural et le fleuve Iénisseï, les plateaux et les monts s’octroient la plus grande part de la surface russe. Mais au-dessus du Kamtchatka, tout n’est plus que nuages : le temps ne doit pas être très clair en-dessous ! Anton m’avait recommandé le côté gauche de l’avion, j’ai veillé à ne pas être au dessus de l’aile et j’ai bien fait : un volcan majestueux sort sa tête de la masse nuageuse. Il s’agit du Koriakski, 3456 mètres. Et le vol est déjà terminé.