dimanche 1 octobre 2017

Kamtchatka part 9 et fin

Le brouillard est de plus en plus bas, à ne plus savoir si les brumes que nous traversons viennent du ciel ou de la terre. Plus loin encore, une partie de la coulée de lave est plate et est constituée de plissements ; elle contourne un petit volcan, à la manière d’un glacier se frayant un passage entre les montagnes. Il est temps de rebrousser chemin. Nous repartons par le même itinéraire, légèrement différent compte tenu des changements de lumière et de température. Mais il aurait eu véritablement un autre aspect si le soleil avait pu avoir raison des nuages. La journée n’est pas terminée. Nous avons le temps de nous rendre sur un site un peu plus bas. Une heure de Kamaz et nous sortons du coton et retrouvons le soleil, et une végétation plus dense. Le sol est toujours fait de graviers noirs mais de nombreux arbres ont repris vie. Certains font plusieurs mètres de hauteur. Une forêt nouvelle de conifères, d’un vert clair, illumine le paysage. Elle rejoint, au loin, la forêt ancienne, de couleur beaucoup plus foncée. Les fleurs sont plus nombreuses. Et malheureusement, les moustiques ont aussi repris possession du lieu. C’est infernal.

Nous sommes ici car on peut accéder, au prix d’une escalade à la portée de tous, à une grotte sous la lave. La verdure entoure le lieu mais, dans la profondeur d’un petit cratère, nous pouvons nous faufiler dans une brèche. Evidemment personne ne nous a prévenu de la nature de l’expédition et nos lampes frontales sont dans les tentes. Alors, à la lumière de téléphones portables (car heureusement, même ici, sans l’espérance d’aucun réseau, quelques uns n’ont pu se séparer de leur nouvel organe), nous découvrons un dôme noir strié, comme une écorce, ou composé d’alvéoles imparfaites, comme la structure de la Lune vu depuis la Terre. Pas de stalactite, pas de stalagmite. Ni moustique, ni chauve-souris. Le volume est équivalent à celui d’une grande salle, haute de plafond. Mais dans le noir presque complet, l’intérêt de prolonger la visite reste limité. Retour au camp de base, lui, toujours dans la brume. Une fenêtre dans la couche nuageuse, à l’horizon, nous fait profiter d’un original coucher de soleil. Vite, je grimpe sur le gros rocher dominant le camp. Libre. Libre de regarder le temps qui passe, dans un paysage d'une autre ère.
Quelques points d’eau sibériens ont été installés pour permettre de se laver : un récipient d'une capacité de deux litres et quelques, est placé à un mètre cinquante du sol, et une tige métallique placée dessous, en plein centre, permet, en la poussant vers le haut, de laisser couler un filet d’eau. Il fait froid mais je sors bravement ma brosse à dents. Devant moi, dans cette salle de bain en plein air, un russe, torse nu, fait tranquillement sa toilette. Je ne suis donc pas si libre que cela, prisonnier de ma frilosité ! Le lendemain, avec un ciel un peu plus clair, les guides nous proposent de retourner sur nos traces d’hier et de monter plus haut. Je négocie une sortie en solitaire pour faire des photos mais de l’autre côté, où ne nous sommes pas allé, et où j’ai aperçu une autre coulée de lave noire très belle, descendant directement du grand volcan nous dominant. Le guide m’autorise à partir seul mais en restant visible car il peut toujours y avoir des ours. Compte tenu que nous n’en avons pas vu l’ombre depuis que nous sommes dans cette zone quasi désertique, ça ne m’inquiète pas le moins du monde. Le petit déjeuner avalé, je m’éloigne, trop excité d’être enfin seul, de pouvoir choisir de quitter les chemins, tous les chemins. Comme la dune de sable, qui peut être ferme ou au contraire, se dérober sous les pieds, la montagne noire de scories peut être gravie à certains endroits mais à d’autre, le pied s’enfonce et la progression est plus chaotique. Mais quel plaisir de patiner ainsi d’impatience, d’aller plus haut, plus loin mais lentement, et d’y arriver essoufflé ! Un des versants de ce volcan est jaune de lichen, cet autre est noir avec une seule fleur jaune en plein milieu, et le suivant, deux cent mètres plus loin, est moitié orange, moitié noir. Et la séparation des couleurs se fait en ligne droite. Entre les deux, une autre pente grise recouvertes de cailloux de toutes les tailles, le résultat d’une pluie de pierres. Ça donne l’impression d’arriver sur la Lune. Et plus en aval, en me rapprochant de la coulée noire grimpant jusqu'à la base du Tolbatchik, un névé recouvert partiellement de poussière noire, après que le vent ait sculpté la neige en une multitude de petits cônes, reprenant en miniature le relief de la chaîne de volcans du Kamtchatka.

La mosaïque est étonnante et les différents tons sont doux. Les lignes se poursuivent plus bas avec les traces d’un véhicule qui est passé il y a déjà… un certain temps, avec, les longeant, une séries de pas, humains ceux-ci. Mais de l’autre coté des ombres creusées par les roues, il y a de gros ronds qui pourraient être les empreintes d’un ours. Ce monde vide a besoin d’histoires !
Quel plaisir de se coucher dans ce sable vierge ! Comme la neige immaculée dans lequel le skieur est le premier à glisser, les scories noires mais propres (elles ne laissent aucune trace au toucher à la différence d’une cendre) épousent la forme du corps. Ce n’est pas pour le plaisir de se rouler comme un animal dans la boue – la nature de ce terrain est plus proche du gravier que du sable fin des dunes du Sahara - mais pour photographier une fleur devant un grand volcan en partie enneigé et avec un nuage accroché à son sommet, comme un poisson pilote après une raie Manta. Le sol est tiède, sa couleur et la nature de la roche participent à l’emmagasinement de la chaleur, et sa fermeté le rend très confortable. Mais je ne suis pas là que pour ça, je n’ai que quelques heures pour moi sur cette planète. Un vrai prince. Je suis prêt à parler à un renard ou à un ours. En redescendant, les blocs de roches jaunis de lichens m’évoquent des images, non plus de la Lune, mais de la planète Mars. Je crois que me références en matière de déserts et d’espaces infinis s’arrêtent là. En me rapprochant de ce nouveau relief, je trouve de vrais petits massifs de végétations de plus d’un mètre de long et des touffes d’herbe sur près de quatre mètres. A ce rythme là, je vais bientôt découvrir une oasis ! Et, sur le pourtour de ces grandes herbes, plusieurs fleurs bleues à clochette. Ce qui n’aurait pas arrêté mon regard dans la campagne française, prend soudain une toute autre valeur. Un insecte butine. Le premier et le dernier que je verrai dans toute cette zone. J’exclue le moustique qui n’est pas vraiment un insecte mais une erreur de la nature. Personne n’est parfait.

La nuit passe et il faut maintenant redescendre sur terre en retraversant la forêt et affronter le village aux mille milliards de moustiques. Avant cela, nous nous arrêtons non loin de la forêt, sur le plateau, où nous avions vu en arrivant des fleurs vives, complètement isolées sur le sol noir. Nous ne voyons pas les bleues clair mais en trouvons quelques une de violettes. Le site est parfait. La pente est légère, les volcans sont derrière nous et devant – avec un ciel clair et quelques jolis nuages très mobiles –, s’étale la forêt à l’infini. Des centaines de mètre de sol nu avec pour seul relief des plantes minuscules, éloignées les unes des autres. On ne les voit pas de loin. Nous finissons tous assis ou allongé sur ce revêtement des plus confortables. Idéal pour se coucher devant les fleurs rases ; certaines sont sans tige, ne laissant aucune prise au vent. Le volcan le plus haut reste coiffé de nuages. Aucune envie de quitter cette zone. Ce sera surtout synonyme de retour.
Un camion Kamaz arrive vers nous. Il monte depuis la forêt. Orange et blanc, comme le notre. J’assiste à notre arrivée. La boucle est bouclée, le temps se répète. La descente sera plus rapide que la montée, cela va sans dire mais pas sans heurts. Nous sauterons de nos sièges, les arbres défileront en boucle, derrière les fenêtres. La tête dodelinera à gauche puis à droite mais sans musique. Les heures vont passer, les kilomètres très certainement se succéder mais ce sera toujours les mêmes troncs, les mêmes branches qui viendront cogner la carrosserie. Le village. Un magnifique cheval, seul, au milieu de la route, vient à ma rencontre. Et le lendemain matin, au moment du départ, un volcan bien visible, en plein contre-jour, laisse échapper une fumée épaisse. Le Kamtchatka nous salue. 

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